Posté: 18 avril, 2023
Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa deuxième année, les anabaptistes et d’autres chrétiens continuent de prier et de travailler pour la paix. Pendant le Carême, des églises du monde entier se sont réunies en ligne pour un deuxième service de prière œcuménique afin de prier pour la guerre en Ukraine et dans d’autres lieux de conflit. Des responsables d’églises, dont le secrétaire général de la CMM, César García, ont proposé des prières et des réflexions.
César García a été interrogé sur la question du pacifisme par Simon Rindlisbacher, rédacteur en chef de la Newsletter mennonite suisse. Reproduit avec l’autorisation de la Konferenz der Mennoniten Der Schweiz/Conference Mennonite Suisse.
Quelle est la force de ce thème dans les pays que tu as visités durant cette période en tant que secrétaire général de la CMM ?
La guerre est un sujet d’inquiétude en de nombreux endroits. Après tout, elle a aussi des répercussions globales. On s’inquiète de la menace d’une guerre nucléaire et on est touché par l’inflation que la guerre a provoquée. Dans les pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud, celle-ci est devenue un fardeau supplémentaire en plus de la pandémie. Ensuite, j’ai aussi parlé avec des gens qui ont dit : La guerre est bien sûr terrible, mais ce n’est pas la seule dans le monde. D’autres conflits tout aussi terribles ne reçoivent pas ou plus la même attention en Europe en ce moment. Je pense par exemple à la situation au Myanmar, au Congo ou en Érythrée. Mais aussi à la Colombie ou à l’Amérique du Sud au général. Ces pays sont parfois impliqués dans des conflits depuis des années. Les gens et les églises y souffrent. Je pense qu’il est important de ne pas les oublier à cause de la guerre en Ukraine.
Depuis le début de la guerre, ceux qui s’engagent pour le pacifisme et la non-violence doivent soudain se justifier. Pour les mennonites, en tant qu’Église historique de paix, c’est une situation difficile. Face à une guerre comme celle qui se déroule en Ukraine, est-il opportun de continuer à s’accrocher au pacifisme et à la non-violence ?
Cette question se pose dans tout conflit violent et il est plus facile d’y réfléchir quand on n’est pas directement concerné. Je pense qu’en matière de pacifisme, il est important que nous restions entièrement nous-mêmes. Nous ne pouvons pas exiger une attitude pacifiste des autres, mais seulement de nous-mêmes. Nous pouvons toujours nous demander : qu’est-ce que je fais si je suis violemment agressé ? Bien sûr, la réponse est difficile à donner si je n’ai jamais été dans cette situation, et peut-être que je réagirais par la violence. Ce n’est que trop humain. Néanmoins, je peux m’en tenir à l’idée que, pour moi, la voie non-violente est fondamentalement la bonne.
Et c’est ce que nous devrions faire ?
En tant que chrétiens, le pacifisme et une attitude pacifiste sont notre vocation. De mon point de vue, être un chrétien partisan de la guerre est une contradiction dans les termes. Mais même si nous sommes appelés au pacifisme, nous ne pouvons finalement pas donner une réponse pacifiste par nos propres moyens. Si nous voulons construire la paix, comme Jésus l’a fait, nous sommes dépendants du soutien d’une communauté ecclésiale et de la force du Saint-Esprit. Lorsque la paix est établie, c’est toujours un miracle. Nous pouvons permettre à Dieu d’agir à travers nous et de nous aider à réagir comme Jésus, sans violence.
De ton point de vue, comment devrions-nous, en tant que mennonites et Eglises de paix en Europe, réagir à la guerre en Ukraine ?
Il n’y a pas de réponse universelle à cette question. Chaque conflit est différent et se déroule à chaque fois dans un contexte différent. Mais ce que les Églises peuvent toujours faire lorsqu’elles sont confrontées à la violence, c’est développer des moyens créatifs pour y faire face dans le cadre d’un processus collectif. Le pacifisme ne consiste pas à se contenter d’observer. Être pacifiste, c’est se défendre et faire quelque chose contre la violence. Tout simplement avec des moyens et des outils non sanglants. L’histoire montre que cette forme de résistance non violente fonctionne.
A laquelle penses-tu ?
Pensons à Martin Luther King Jr. ou au pasteur André Trocmé qui, avec sa communauté, a caché des juifs pour les protéger des persécutions nazies. Ces personnes ont trouvé des moyens non violents, créatifs et efficaces de s’opposer à la violence. Parfois, je me demande : que se serait-il passé si les gens en Ukraine avaient décidé de ne pas s’opposer par les armes ? S’ils avaient dit : « Tenez, prenez notre pays sans verser de sang », mais qu’ils s’étaient ensuite opposés à la puissance occupante par la désobéissance civile. Cela aurait-il été pire que ce que les gens vivent actuellement en Ukraine ? Tous ces morts, cette destruction ? Je ne sais pas. La violence armée et la guerre sont toujours une réponse simple. La non-violence est bien plus compliquée et demande beaucoup de créativité. Mais elle est possible.
Tu viens de Colombie, un pays où les conflits armés font tristement partie du quotidien. Comment les Eglises, et en particulier les mennonites en tant qu’Eglises de paix, font-elles face à cette réalité ? Que pouvons-nous apprendre en Europe des mennonites de Colombie ?
Tout d’abord, il est important de comprendre que le travail pour la paix est un travail de génération. Tu peux certes t’engager en tant que personne individuelle, mais tu ne verras peut-être plus les fruits de ton engagement. La Colombie a connu beaucoup de violence au cours des 250 dernières années. Les Eglises mennonites ont commencé à travailler pour la paix il y a 70 ans et ce travail n’est toujours pas terminé aujourd’hui. Notre attitude est la suivante : nous ne sommes pas pacifistes à cause de ce que notre engagement produit, mais parce que c’est notre vocation en tant que chrétiens ; à cause de ce que Dieu fait en nous et à travers nous et parce que nous sommes poussés par l’espoir chrétien qu’un monde de paix est possible.
Comment se présente concrètement votre travail pour la paix ?
Elle est très diversifiée. En principe, l’objectif est de promouvoir une culture de la paix en Colombie et d’y ancrer un style de vie pacifiste. Pour ce faire, certaines églises mennonites collaborent par exemple avec des écoles et leur montrent comment apprendre aux enfants à résoudre les conflits de manière pacifique et saine. D’autres églises forment des cadres dans les entreprises. Elles leur montrent comment gérer les conflits sur le lieu de travail. En Colombie, la violence au sein des familles est également un grand problème. C’est pourquoi d’autres églises mennonites travaillent avec les familles et leur montrent comment régler les conflits sans violence. De cette manière, nous apportons des idées sur la manière d’instaurer la paix dans la vie quotidienne des gens.
Vous engagez-vous au niveau politique ?
Oui. Par exemple, nous nous engageons pour que l’on ne soit pas obligé d’effectuer un service militaire si l’on ne le souhaite pas pour des raisons de conscience. Nous avons fait des propositions au gouvernement sur ce que pourrait être un service civil de remplacement. Cela n’a pas vraiment plu à l’armée. Mais l’Eglise a maintenu la pression malgré les vents contraires. Nous avons aussi déjà participé à des manifestations, contre l’utilisation de la violence, les propositions et les lois qui font obstacle à la paix. Et il y a aussi des églises qui ont refusé de payer des impôts destinés à financer des mesures violentes du gouvernement.
Vous adressez-vous aussi directement aux différentes parties armées en conflit, comme les armées illégales ou les gangs de la drogue ?
Nous l’avons déjà fait, même si c’est très risqué. A plusieurs reprises, des responsables d’églises mennonites ont tenté de discuter de leurs différends avec les parties en conflit. L’objectif était à chaque fois de leur montrer des moyens de régler leurs conflits de manière pacifique. Des activistes de la paix ont déjà perdu la vie dans ce contexte. Car dès que l’on parle avec une partie au conflit, l’autre peut nous considérer comme un ennemi. Mais nous avons aussi fait de très bonnes expériences et accompagné les parties en conflit vers une manière de vivre plus pacifique. Il est d’ailleurs important que nous ne nous concentrions pas uniquement sur la prévention de la violence, mais que nous nous occupions également des victimes de la violence.
César García est secrétaire général de la Conférence mennonite mondiale (CMM). Originaire de Bogotá, en Colombie, il a été fondateur d’églises, pasteur et enseignant de la Bible et de la théologie. Avant son élection au poste de secrétaire général, César était président des Iglesias Hermanos Menonitas de Colombia (Eglises de Frères mennonites en Colombie) et secrétaire de la commission missionnaire de la CMM.
Que faites-vous pour les victimes ?
Pour les victimes de violence, nous proposons des conseils et des programmes de guérison des traumatismes. Par exemple, si elles ont perdu des proches ou leurs biens. Nous soutenons les personnes qui fuient la violence. Il s’agit de plusieurs milliers de personnes. Nous les aidons à quitter le pays si c’est la meilleure solution. Et s’ils peuvent rester, nous les soutenons en leur donnant de l’argent, un logement, un travail et bien d’autres choses encore. Ce travail contribue également à long terme à une culture de la paix.
D’après toi, qu’est-ce qui est le plus susceptible d’être mis en œuvre en Europe parmi tous ces exemples ?
De mon point de vue, le pacifisme et la non-violence doivent être un mode de vie. Les conflits existent aussi dans la vie de tous les jours, dans la famille, dans les études, dans le travail. La question est de savoir comment nous les gérons. Ici aussi, il faut une approche pacifiste, dans la vie quotidienne aussi, il faut être capable de gérer les conflits de manière saine et pacifique. A mon avis, c’est l’une des tâches des églises de s’y exercer et de faire ainsi du pacifisme un mode de vie. Si tu y parviens, tu sauras mieux comment réagir de manière créative et non violente à une guerre. Si l’on ne pense aux possibilités de résolution pacifique des conflits qu’au moment où la guerre éclate, il est beaucoup plus difficile d’envisager de telles possibilités.
—Article publié originellement dans la Newsletter mennonite suisse
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